Lentement, la
diligence fantomatique descendait l’étroite route qui dessinait une cicatrice à
travers l’épaisse forêt des alentours de Portsmouth. Une atmosphère oppressante,
amplifiée par la pluie battante, pesait en ces lieux. Ces arbres noirs, privés
d’espace et de lumières avait poussés en un enchevêtrement tortueux de troncs
et de branches empêchant quiconque de pénétrer en leur sein sans contorsion.
Aucun animal ne s’approchait de la lisière et pourtant l’observateur averti pouvait
déceler d’infimes mouvements dans les profondeurs des sous-bois. Le chemin
lui-même était sinueux et défoncé. De puissantes racines en perçaient la
surface et son tracé semblait aussi irrégulier que les troncs des arbres qui le
bordaient.
Dans la voiture
chahutée, un silence pesant régnait. En face de moi, deux vieilles dames se
blottissaient l’une contre l’autre sans mot rien, me jetant de temps à autres
des regards froids, comme si ma bonne humeur n’était pas de mise en ces
circonstances. Pourtant rien n’aurait pu ôter le sourire de mon visage ce soir.
J’allais bientôt arriver à Portsmouth, petite bourgade que je rêvais de visiter
depuis plusieurs mois. A vrai dire ce n’était plus le village qui occupait mon
attention ces dernières semaines. J’allais enfin rencontrer celle avec qui
j’avais établi, depuis quelques mois, une correspondance de plus en plus
passionnée.
Doucement mon esprit
s’enfonça dans les méandres de mes souvenirs. Etudiant en histoire, j’avais
choisi comme sujet de thèse le développement de la pêche dans les ports de la
nouvelle Angleterre au cours du siècle dernier. N’ayant pas beaucoup de moyens
pour me déplacer j’avais passé, il y a quelques mois, des annonces et étais
entré en contact avec des correspondants dans les différents villages côtiers
de la région. Ayant bien souvent eu affaire à des anciens, enfants du pays,
ayant passés leur vie à entretenir la mémoire du village, j’avais été très
agréablement surpris de faire la connaissance d’Helena, jeune femme instruite
connaissant parfaitement l’histoire de ce petit port de pêche et qui devins
naturellement mon contact en ce lieu. Cette correspondance fut assez fructueuse
pour que je consacre la moitié de mon étude à ce seul village. Helena m’avait
énormément aidé dans ma tâche et c’est autant pour la remercier en personne que
pour rencontrer celle dont j’attendais impatiemment la moindre lettre que
j’étais venu à Portsmouth.
La diligence
franchit une dernière colline et Portsmouth m’apparut enfin. La pluie avait
cessée et une douce lumière éclairait le vallon. Au milieu, le village semblait
ramassé sur lui-même étroitement prisonnier des deux collines l’encadrant.
Totalement isolé, il était acculé à la mer et entouré par cette impénétrable
forêt qu’une unique route traversait. Une petite rivière descendait des bois et
coupait le village en deux avant de se jeter dans l’immensité océanique. Tels
de sombres oiseaux impassiblement posés sur leur rocher, des maisons se
dressaient sur les flancs des collines. Le centre était, quant à lui, un enchevêtrement de petites rues sinueuses et
humides. Quelque chose dans cet ensemble de toitures et de ruelles manquait de
l’harmonie pittoresque que l’on pouvait attendre de ce genre de lieu.
Enfin arrivée
à destination, la diligence s’arrêta à l’entrée du village. Les deux petites
vieilles sautèrent promptement de la voiture et empruntèrent d’un pas pressé
les ruelles avoisinantes. La première chose que je fis en sortant fut de
m’emplir les poumons de cet air d’embruns unique que l’on ne trouve que dans les
petits villages côtiers. Puis, je me retournai vers le conducteur pour lui
demander s’il connaissait une auberge où je pourrais séjourner. Le cochet
tourna vers moi un visage inexpressif et me répondit que je trouverai surement
un établissement de ce genre sur le rivage. Puis, sans attendre, il lança ses
chevaux sur la route.
Je regardai la
diligence s’éloigner doucement puis, prenant conscience que le soir allait
bientôt tomber, m’interrogea sur le chemin menant au port. N’aillant personne
pour m’en indiquer le chemin je m’enfonçai dans les rues étroites, laissant le
hasard me guider jusqu’au front de mer. Le village était calme en cette journée
de fin d’octobre. Les rues étaient étroites et désertes. Les maisons, d’un aspect rudimentaire mais
entretenu, semblaient habitées mais aucun bruit ni autre signe d’activité ne
s’en échappait. Seules les lumières derrière les carreaux fumés et les fumées
s’élevant des cheminées trahissaient la présence de quelques habitants. Je
suivis un chemin qui serpentait entre les maisons débouchant sur de petites
places et parsemé de petits escaliers épars. La rue enjambait soudainement la
rivière par un petit pont de pierre entre deux ensembles de maisons puis virait
brusquement avant de descendre doucement vers le port.
J’arrivai sur
un front de mer désert et, sans prendre le temps d’admirer la vue, cherchai du
regard un bâtiment qui pourrait ressembler à une auberge. J’aperçus non loin un
bâtiment légèrement plus haut que les autres qui correspondait à mes attentes.
Une enseigne représentant un squelette de poisson gravé sur une choppe pendait
tristement à sa potence. En dehors de ce symbole rien n’indiquait qu’il
s’agissait d’une taverne : pas de nom, pas de tables dehors, juste une
lourde porte de chêne et des fenêtres crasseuses qui ne laissaient passées
qu’une faible lumière. L’intérieur contrastait avec l’extérieur. Il faisait
chaud et l’air était saturé de fumée. Un plafond bas accentuait l’ambiance étouffante
du lieu. La salle était de composition classique : un bar où les plus
fidèles siégeaient sur leur tabouret et quelques tables où d’autres villageois
se réunissaient. Personne ne sembla s’intéresser à ma présence. Quelques têtes
s’étaient tournées à l’ouverture de la porte puis, ne reconnaissant pas l’un
des leur, les habitués s’en étaient retournés à leurs occupations.
Je m’approchai
du comptoir où le patron impassible continuait à essuyer ses verres sans me
prêter la moindre attention. Je demandai s’il était possible de louer une
chambre pour la nuit. Tournant enfin la tête, le patron me jaugea du regard
puis me répondit qu’il pouvait me trouver une chambre mais qu’il fallait payer
d’avance. Je payai pour trois nuits puis, suivant les indications, montai poser
mes affaires. La chambre était sommairement équipée mais propre et avec une
belle vue sur la mer. Un petit placard prévu à cet effet fut bientôt rempli
avec le contenu de ma valise. Le temps de disposer quelques affaires de
toilettes dans la salle de bain et je me sentis enfin détendu. Les bruits de la
salle n’arrivaient pas jusqu’ici et d’après la disposition je devinai que je
devais me trouver au-dessus des cuisines.
Le titre, la façon de démarrer l'histoire, on croirait du Lovecraft : j'adore !!!
RépondreSupprimerMerci ! ça me fait plaisir parce que c'était le but recherché ! Et comme je ne t'en avait pas parlé avant du coup je me dit que j'ai pas trop mal réussit mon coup !
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